Laura Letinsky
Vit et travaille aux états-Unis
www.lauraletinsky.com
Who Loves the Sun
Don Quichotte se battant contre les moulins à vent est parfois l’image qui me vient à l’esprit quand je pense à ma relation avec ce géant qu’est la photographie. L’autorité et le fantasme de sa perspective à point de vue unique ayant forgé sa supériorité sur toutes les autres sortes de savoir et d’expérience. Frustrée, et même parfois en colère de sa proximité, voire sa complicité à notre soi-disant insatiable besoin d’images, et de choses – d’acquérir et de rendre obsolète – je suis aussi séduite par ses charmes. Face à l’implacabilité de la photographie, je me console en me disant qu’il ne s’agit que d’un médium et que, comme les mots, elle n’est qu’un outil de communication. Ainsi, je prends des photos de choses très ordinaires d’une manière qui déstabilise et interroge l’autorité de l’appareil photographique tout en flattant sa sensualité, en sollicitant un plaisir visuel rattaché aux autres sens.
Mes natures-mortes photographiques réinterrogent des lieux-communs comme le foyer pour reconnaître ce qui est souvent considéré à défaut comme naturel et inné. Ce « foyer » est à la fois, littéralement et idéologiquement, un lieu et une idée. En travaillant la céramique, le tissu tout comme les aliments et les mots, je propose de reconsidérer ces systèmes qui se frottent contre et avec l’un et l’autre. Les récipients en porcelaine que je fabrique sont poussés à une fragilité qui révèle une aspiration et un calcul d’échec, leur « réparation » avec de l’époxy aux brillantes couleurs synthétiques fait référence au kintsugi japonais qui j’espère fait honneur tout en reconnaissant les influences étrangères, les vides et les fissures. De la même manière, les projets en tissu sont pour moi l’occasion de considérer les esthétiques et les valeurs quand elles voyagent à travers les médiums et les circonstances. Parallèlement à tout cela, je travaille sur un projet d’écriture hybride mêlant écriture académique, essai et journal en réfléchissant à travers et par ces processus et concepts de croisement. La photographie, la céramique et l’écriture, tout ce qui vise à affirmer la délicatesse, la fragilité et l’interdépendance comme les moyens d’une vie durable.
Je fais de la photographie pour révéler le mixage de notre société globalisée en lien avec l’idiosyncrasie du temps et de l’espace. Il y a la spécificité de cette « chose » que l’on connait comme le foyer tout comme il y a la manière dont on est arrivé là. Ce lieu et cette émotion littérale et figurée est une combinaison intangible d’odeurs, de goûts, de son et, inévitablement d’un regard médié par Instagram, les magazines léchés, la télévision et autres médias d’image. En résistant à l’homogénéisation et au fantasme qu’induit la photographie, mes photographies visent à être une indélicate, vulnérable et pourtant parfois glorieuse proposition.