Koga Eriko

Née en 1980, nationalité japonaise, vit à Kyoto
www.kogaeriko.com

“Asakusa Zenzai”

J’ai rencontré Hana et Zen en 2003, lors du Festival Sanjya à Asakusa. Je suis rapidement devenue amie avec eux et j’ai commencé à leur rendre visite, chez eux. Je crois que j’ai en quelque sorte absorbé l’atmosphère de leur logement et leur existence même : une expérience que je n’arrive pas à transcrire avec des mots. Je sentais juste qu’il était essentiel de relater leur vie et de la sauvegarder par le biais de la photographie. À cet instant, j’ai décidé de me consacrer à eux en les prenant en photo. Pendant six ans, je les ai photographiés dans leur  quotidien. Je m’efforçais de rester invisible à leurs yeux de façon à ce qu’ils apparaissent le plus naturels possible.
Zen et Hana n’ont pas eu d’enfants et ont très peu de parents. Ils ne sont que tous les deux et partagent leur vie au coude à coude. Rien dans leur modeste existence ne présente un intérêt particulier. Cependant, pour eux, le temps passé ensemble leur paraît véritablement inestimable. 
Leur logement est ancien car construit juste après la Seconde Guerre mondiale. Les pièces ont un côté vieillot. L’appartement ne possède ni climatisation, ni salle de bain. Le réfrigérateur en bois nécessite un ravitaillement quotidien en pains de glace.
Zen gère le ménage, les courses, les repas ; il tient la maison car Hana a des problèmes pour se déplacer. Leurs voisins leur apportent souvent à manger. Zen aime boire du saké, et parfois, quand il est soûl et détendu, il me raconte, sur un ton enjoué et drôle, des histoires qui lui sont arrivées autrefois. Tout en écoutant la radio, Hana a l’habitude de fumer des cigarettes en fixant la fenêtre d’un air absent.
Le temps a passé, et à partir de 2004, l’état de santé de Zen s’est dégradé au fil des ans. Cela lui devenait de plus en plus difficile de s’occuper d’Hana et d’entretenir la maison. Comme ils refusaient toute aide médicale, ils passaient très souvent leurs journées alités. 
Je leur rendais visite fréquemment à cette époque, remplissant le réfrigérateur en bois de nourriture dès que possible. Les jours s’égrenaient et vint le temps où je prenais leurs mains dans les miennes au moment de partir. 
Au cours de l’hiver 2008, ils ont été emmenés en ambulance dans deux hôpitaux différents et ne se sont jamais revus de leur vivant.
Quinze ans se sont écoulés depuis ma première rencontre avec Hana et Zen. J’avais 23 ans et j’essayais de devenir photographe. Aujourd’hui, je suis photographe et je suis mère. Je comprends désormais ce que signifie l’amour pour sa famille, et celui qui unit une femme à son mari, et je mesure ce que représente une vie paisible, chose que je ne pouvais comprendre à cette époque. 
Si je n’avais pas croisé la route de Zen et d’Hana, si je n’avais pas eu l’occasion de les photographier, je suis sûre que je ne serais pas la photographe que je suis aujourd’hui. 
Je ne dispose pas d’autre forme d’expression plus forte que la photographie, mais si, en regardant mon travail, quelqu’un ressent quelque chose d’indéfinissable, alors j’en serais heureuse.