Jo Ractliffe
Vit et travaille en Afrique du Sud
Landscaping
Le paysage, c’est une manière de regarder ce qui a sa propre histoire, une histoire qui ne peut justement être comprise qu’à travers une histoire plus vaste, économique et sociétale.
Denis Cosgrove, Social Formation and Symbolic Landscape, 1998
En octobre 2022, j’ai parcouru en voiture la route nationale qui longe la côte atlantique Sud-Africaine, depuis Cape Town jusqu’à Namaqualand et la frontière namibienne. J’ai roulé à travers les terres agricoles, les villages de pécheurs et les villes minières et j’ai parcouru les interminables bandes de terres ruinées par l’industrie minière. C’est la terre de mon enfance. J’ai pris mes premières photographies là, le long de la côte ouest. Cela faisait 20 ans que je n’étais pas revenue.
Beaucoup de villes de Namaqualand sont nées de la « découverte » du cuivre à Okiep en 1685. En 1926, la découverte de diamants alluvionnaires près de l’embouchure de la rivière Orange provoqua l’arrivée d’une nouvelle vague d’aventuriers et les mines se développèrent. La mythologie des frontières ressurgit avec le romantisme contemporain de la côte ouest et de Namaqualand ; les brochures touristiques regorgent d’histoires de baleiniers, de marins et de naufrages et de descriptions de « paysages vierges », de « villages historiques au charme désuet », de « gentils autochtones » et d’« hospitalité chaleureuse ».
La réalité de la vie quotidienne des communautés locales, celles-là mêmes qui avaient été dépossédées de leur terre et qui sont restées marginalisées et sans ressources, ont été effacées de ce récit. Les conséquences de plus d’un siècle d’extraction à échelle industrielle des diamants, du cuivre et des sables minéraux lourds le long de ce paysage côtier a laissé une campagne ruinée ; les villes minières autrefois florissantes n’ont aucun véritable service public et le taux de chômage est l’un des plus haut du pays. Aujourd’hui, les habitants de la région vivent encore parmi les mines, les amas de résidus, les sites de fonderie et les usines de traitement. Des terres aussi brisées rappellent le concept de Rob Nixon de « violence lente » qu’il définit comme « une violence qui opère de manière graduelle et invisible, une violence de destruction insidieuse qui s’étend à travers le temps et l’espace, une violence d’usure qui n’est habituellement pas du tout perçue comme de la violence. »
Quand je réfléchissais à comment je pouvais photographier ces espaces, j’étais obligée de me confronter à l’idée de « paysage », de reconsidérer ce qui fait paysage en photographie ? Je me suis toujours débattue avec ce terme, la manière dont il se rapporte à un regard plus qu’à un espace concret – et comment il amalgamerait ce regard ou cette représentation avec le véritable lieu lui-même. Mais le terme de « paysage » ne désigne pas une géographie ou un espace au-dehors ; c’est déjà une fabrication. Et parler de paysage en termes de beauté ou même de laideur, c’est observer plutôt que participer, réduire l’espace et l’enfermer dans un concept en faisant fi de l’expérience vécue.
Je savais que m’embarquer dans un essai photographique au long cours sur l’industrie minière de l’Afrique du Sud dépassait largement mes capacités. J’ai donc plutôt essayé, dans ce travail, de lutter pour que mes photographies échappent aux conventions stéréotypées du paysage – ce que William Kentridge appelle « la peste du pictural » – et de faire des images qui interrogent certaines notions prédominantes de ce qui constitue un paysage.